samedi 15 septembre 2012

Bible et sexualité


La tyrannie du plaisir

Dans « La tyrannie du plaisir » un livre très documenté, Jean-Claude Guillebaud a voulu faire le point, quelques décennies plus tard, sur les fruits qu’a portés dans notre société la révolution sexuelle. Le but de cet article n’est pas de donner un résumé de son analyse. Il est de considérer l’un des points à partir duquel il l'a construit : la vision judéo-chrétienne de la sexualité.

Prologue à la réflexion

Sur ce sujet, il faut faire le pari de garder la tête froide et l’esprit calme. C’est posément, sans hâte ni parti-pris, qu’on doit examiner cette grande question du judéo-christianisme et de la sexualité. Rien n’est plus difficile aujourd’hui…

« De nos jours en Occident, souligne Evelyne Sullerot, c’est toujours à la tradition judéo-chrétienne qu’on s’en prend : on lui attribue systématiquement, sans le moindre examen, tout ce qui paraît défavorable à la femme. Sans doute cette hâte irréfléchie est-elle due au fait qu’on ne raisonne plus que selon une seule catégorie : la sexualité ! On juge de la liberté, de l’égalité, des droits, etc.., uniquement en fonction des biens matériels ou de la liberté sexuelle. Les religions monothéistes apparaissent comme les grands systèmes esclavagistes de la femme. »

Cette fixation antireligieuse participe d’un réflexe contemporain dont il faudrait souligner l’extravagance. Car enfin… des peuples entiers auraient vécu deux millénaires durant dans la névrose, le malheur, la frustration ! L’Occident dans son ensemble aurait cheminé deux mille ans sous la férule de désirs bridés et de liberté asservie ! Et aujourd’hui seulement, nous, individus émancipés de la société industrielle, serions fondés à désigner ces ancêtres comme autant d’enfants persécutés par le prêtre et le théologien ; comme des passagers enchaînés à fond de cale, en partance vers un monde de liberté atteint : le nôtre.

« Il faut se garder, écrivait Michel Foucault, de schématiser et de ramener la doctrine chrétienne des rapports conjugaux à la finalité procréatrice et à l’exclusion des plaisirs. En fait, la doctrine sera complexe, sujette à discussion, et elle connaîtra de nombreuses variantes. John Boswell, militant homosexuel, ouvre sa longue étude sur l’homosexualité dans l’histoire médiévale par ces mots : « Le présent volume vise expressément en bien des pages à réfuter l’idée que l’intolérance envers les homosexuels trouve son origine dans les croyances religieuses – chrétiennes ou autres. »

La position de Paul

Pharisien juif d’origine, l’apôtre Paul est souvent présenté comme le premier responsable du prétendu ascétisme catholique… Il est cependant incontestable que bien des textes de Paul ont été déformés et surtout instrumentalisés après la mort de leur auteur. A ce sujet, Laure Aynard se pose la question : « On peut présumer que saint Paul eut été fort étonné (et, espérons-le, navré) de savoir que les consignes de bonne tenue qu’il donna un jour face à l’indiscrétion de quelques dames corinthiennes pourraient servir, au long de 19 siècles, de justification théologique à la situation inférieure d’une moitié de l’humanité dans l’ensemble du monde occidental. »

En réalité, de la conversion de Paul jusqu’à son martyre dans une geôle romaine, vers l’an 67, toute sa vie apparaît plutôt sur cette question de la sexualité, comme la recherche inlassable d’un compromis entre l’extrémisme des encratistes (les adeptes de l’abstinence sexuelle) et la modération des communautés et familles païennes de l’Asie Mineure occidentale en voie de conversion au christianisme.

De même, on prendra l’habitude d’oublier que Paul, notamment lorsqu’il aborde la question de la continence, s’exprime toujours dans une perspective apocalyptique. Paul est convaincu de l’imminence d’événements décisifs, c’est-à-dire de la venue du Royaume, qu’il s’attend à connaître de son vivant.

Pour le reste, les spécialistes contemporains ont beau jeu de dénoncer les mille et une approximations, voire les manipulations qui ont permis de faire apparaître Paul comme le lugubre inventeur du puritanisme. Les phrases de Paul que l’on monte en épingles sont données dans un contexte de réponses à des questions posées. Il a, en outre, en face de lui, de jeunes Corinthiens dont certains font l’éloge de la prostitution et d’autres manifestent une tolérance pour l’inceste. D’autres encore sont illuminés ou encratistes. Sa réponse consiste à condamner l’encratisme, tout en manifestant qu’il y a quelque vérité en celui-ci. Il répond en substance à ses interlocuteurs : qui veut faire l’ange fait la bête.

Phrases de Paul

Il est préférable de ne pas se marier : Paul dit cela en raison des temps difficiles que les chrétiens vivent.

 
S’ils ne savent pas garder la continence, qu’ils se marient, car il vaut mieux se marier que de brûler (en désirs inassouvis)

 
S’il faut avoir sa propre femme, c’est pour éviter l’impureté (le vagabondage sexuel)

 
Ne vous refusez pas l’un à l’autre, si ce n’est d’un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière.

 
Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme et pareillement la femme envers son mari. La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme. Ne vous refusez pas l’un à l’autre.

 
Celui qui est marié se soucie des moyens de plaire à sa femme. Celle qui est mariée se soucie des moyens de plaire à son mari.

 
Les quelques lignes de Paul ont nourri des bibliothèques entières… L’interminable exégèse, poursuivie de siècle en siècle, des mêmes cent ou cent cinquante mots tirés des épîtres de Paul a eu pour triple résultat de les obscurcir en les privant de leur portée spirituelle, de leur enlever toute réelle consistance, de donner des allures de dogme à ce qui n’était –parfois – que simples conjectures délibérément apaisantes. Sans compter que le message de Paul fut quelquefois, au cours des siècles, déformé volontairement dans une intention, disons, moralisatrice.

 Sources :
Evelyne Sullerot : Quels pères, quels fils ?
Michel Foucault : Histoire de la sexaulaité
John Boswell : Christianisme, tolérance sociale et homosexualité
Laure Aynard : la Bible au féminin
 
Visitez : www.gillesgeorgel.com

Aucun commentaire: