samedi 18 février 2012

La nef des fous



La nef des fous

La nef des fous
C’est en février 1494 durant le Carnaval – la saison des fous – que parut à Bâle « La nef des fous » du strasbourgeois Sébastien Brant. Le succès fut foudroyant et durable. Jamais depuis l’invention de l’imprimerie, un livre en langue allemande n’avait connu pareil succès.

Brant, dominé par l’idée que les malheurs des hommes résultent de leurs péchés, entreprend de leur montrer la laideur de leurs vices et de leurs folies. « Les rues grouillent de fous qui battent la campagne, dit-il, mais nul ne reconnaît qu’il mérite ce nom. C’est pourquoi en ce jour, je cherche à équiper toute une armée navale pour les embarquer tous… car une seule nef ne suffirait jamais à les entasser tous, tant sont nombreux les fous. »

Rien n’échappe à la rigueur impitoyable de Brant dénonçant la foile des hommes : l’orgueil, la fraude, le blasphème, l’usure, mais aussi la manie des voyages, la désobéissance au médecin, les sérénades nocturnes, le bavardage incessant… Tout et tout le monde y passe.

L’écrit date de plusieurs siècles, mais il n’a rien perdu de sa modernité et de son actualité.



Extraits !

De la cupidité

C’est absurde folie
d’entasser des richesses
et de ne pas jouir
de la vraie joie de vire,
le fou ne sachant pas
à qui servira l’or
qu’il a mis de côté,
le jour où il devra
descendre dans la tombe.
Mais plus fou est encore
celui qui dilapide
sans rime ni raison
les dons que Dieu confie
afin qu’ils fructifient,
car un jour il faudra
rendre un compte fidèle,
sous peine de devoir
perdre bien plus encore
que la main et le pied.
Le fou veille à l’argent
Qu’il laisse aux héritiers, 
mais ne se soucie pas
Du salut de son âme,
Car il n’a pas le temps
 De se préoccuper
De son éternité.

2. De l’éducation des enfants

Il est complètement
Aveugle de folie
Celui qui ne voit pas
Qu’il devrait élever
Et dresser son enfant ,
Et s’attacher surtout
A ne pas le laisser
A ses égarements
Sans jamais le punir
Tout comme des brebis
Se perdant sans berger…

Du mépris des Saintes Ecritures

Qui ne croit aux Saints Livres
Promettant le salut
Et pense avoir raison
De vivre a sa façon, se moquant bien de Dieu,
Et même de l’enfer,
Est de dernier des fous,
Qui méprise le prêche
Ainsi que la doctrine,
A croire qu’il serait
Sans yeux et sans oreilles.
Si un mort revenait,
On accourait de loin
Pour entendre conter
Ce qu’on voit en enfer,
Si l’on s’y presse en foule
Et si le vin y coule
Pour y faire ribote,
Et autres singeries.
Partout sont répandues
Les Saintes Ecritures :
Nul n’a besoin pour vivre
D’un autre témoignage
Que les deux Testaments,
L’Ancien et le Nouveau…

Nul ne peut servir deux maîtres

Il est bien fou celui
Qui voudrait servir Dieu
De même que le monde.
Quand il faut que deux maîtres
Partagent leur valet,
Il ne pourra servir
A la fois tous les deux.
Souvent un artisan
Se ruine en exerçant
Plusieurs métiers ensemble.
Celui qui veut courir
En même temps deux lièvres
Mais n’aurait qu’un seul chien
En rapporte au plus un
Ou reviendra bredouille,
Même s’il est agile.
Celui qui veut tirer
A plusieurs arcs d’un coup
Ne pourra bien viser
Qu’exceptionnellement.
Qui cumule à la fois
Plusieurs charges diverses
N’arrivera jamais
A se donner à toutes.
S’il faut qu’il soit ici
Il ne peut être là ;
Jamais on ne le trouve
Là où il devrait être…

De murmurer contre Dieu

Comment peux-tu, ô fou,
Oser critiquer Dieu
Alors que ton savoir
Est pour lui dérisoire ?
Laisse donc Dieu agir
Selon sa volonté,
Que ce soit pour bénir,
Pour venger ou punir ;
Laisse-le déchaîner
La tourmente et l’orage,
Laisse-le tout dorer
Et faire voir en beau,
Tu aurais beau crier
Rien ne viendra plus vite,
Tes désirs seuls sont cause
Du mal que tu ressens
Et te rendent coupable
De pécher gravement,
Mieux vaudrait donc pour toi
Garder le silence…

Les sujets sont multiples, des plus banaux aux plus graves. Nul doute que si la nef des fous passait aujourd'hui, tous, tôt ou tard, monterions à bord…



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