L’Occident est-il fini ?
La question se trouve en couverture du dernier magazine hors série du Courrier International. Nourri d’articles d’experts analysant le phénomène de la montée en puissance économique de la Chine s’accompagnant du déclin rapide de l’Occident (entre autres des Etats-Unis), le dossier a le mérite de poser les questions que les politiques n’osent guère abordées. Les analystes à qui le Courrier International donnent la parole le disent : l’Ouest n’est plus au centre du jeu et les critiques à son égard se font de plus en plus vives. Depuis un certain temps, d’éminents penseurs ont pensé le déclin de l’Occident, ou théorisé l’émergence d’autres valeurs ou d’autres mondes. Un peu à la manière de Jean-Baptiste, voix qui crie dans le désert, ils ont peu ou pas été entendu. Parmi eux, le magazine place en tête le russe Alexandre Soljenitsyne. Il lui donne la prééminence pour ouvrir le dossier, par un extrait de son célèbre discours prononcé à Harvard en juin 1978, peu de temps après sa sortie du goulag soviétique. C’est l’extrait de ce discours que je vous propose ci-dessous.
Le discours d’Harvard
« Comment l’Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ? A-t-il connu dans son évolution des points de non-retour qui lui furent fatals, a-t-il perdu son chemin ? Il ne semble pas que cela soit le cas.
L’Ouest a continué à avancer d’un pas ferme en adéquation avec ses intentions proclamées par la société, main dans la main avec un progrès technologique étourdissant. Et tout soudain il s’est trouvé dans son état présent de faiblesse. Cela signifie que l’erreur doit être à la racine, à la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident à l’époque moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident, née à la Renaissance, et dont les développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est devenue la base de la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée l’humaniste rationaliste, ou l’autonomie humaniste : l’autonomie proclamée et pratiquée de l’homme à l’encontre de toute force supérieure à lui. On peut aussi parler d’anthropocentrisme : l’homme est vu au centre de tout.
Alexandre Soljenitsyne |
Historiquement, il est probable que l’inflexion qui s’est produite à la Renaissance était inévitable. Le Moyen Age en était venu naturellement à l’épuisement, en raison d’une répression intolérable de la nature charnelle de l’homme en faveur de sa nature spirituelle. Mais en s’écartant de l’esprit, l’homme s’empara de tout ce qui est matériel, avec excès et sans mesure. La pensée humaniste, qui s’est proclamée notre guide, n’admettait pas l’existence d’un mal intrinsèque en l’homme, et ne voyait pas de tâche plus noble que d’atteindre le Bonheur sur terre. Voilà qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la pente dangereuse de l’adoration de l’homme et de ses besoins matériels. Tout ce qui se trouvait au-delà du bien-être physique et de l’accumulation de biens matériels, tous les autres besoins humains, caractéristiques d’une nature subtile et élevée, furent rejetés hors du champ d’intérêt de l’Etat et du système social, comme si la vie n’avait pas un sens plus élevé. De la sorte, des failles furent laissées ouvertes pour que s’y engouffre le mal, et son haleine putride souffle librement aujourd’hui. Plus de liberté en soi ne résout pas le moins du monde l’intégralité des problèmes humains, et même en ajoute un certain nombre de nouveaux. »
Analyse
J’aimerais pour conclure résumer les points principaux de l’analyse de Soljenitsyne sur le déclin de l’Occident. Notons que ce discours a été prononcé dans une période de déclin nettement moins avancée que la nôtre. Pour lui, ce déclin n’est pas une surprise. Dès la Renaissance, le ver est dans le fruit annonçant la fin. L’analyse du penseur rejoint en de nombreux endroits celle de la Bible. C’est pour avoir ignoré, après qu’elle en fut l’héritière, la vision biblique et spirituelle de la réalité humaine que l’Occident en est là où il est aujourd’hui !
Les points principaux de la pensée de Soljenitsyne :
1. La Renaissance a provoqué un effet balancier qui est allé à l’extrême. Le rejet de la mortification de la chair, principe qui dominait le Moyen Age, s’est dédoublé du rejet du spirituel. Le matérialisme et l’humanisme ont supplanté la dimension spirituelle intrinsèque à l’homme et la place légitime et centrale de Dieu dans la société.
2. La notion de péché, d’un mal inné à la nature humaine, a de plus en plus été occulté. La conséquence est que l’homme ne s’est plus situé par rapport à Dieu. Il n'était plus coupable, mais victime. Son malheur ne venait pas de sa nature mauvaise, mais de carences dûes au mauvais environnement dans lequel il évoluait. Dieu exclu de l'horizon ultime de l'homme, celui-ci a considéré que le seul intérêt réel de la vie était d’atteindre le bonheur sur terre. Le progrès technologique, les biens matériels sont devenus les voies par excellence par lesquelles ce but pouvait être atteint.
3. L’Etat et son système social sont devenus les moyens providentiels de secours par lesquels le bonheur de l’homme peut être assuré. Se faisant, l’Occident a mis de côté la réalité de la dimension spirituelle de l’homme, dimension qui est l’aspect du caractère subtil et élevé de sa nature. La satisfaction immédiate des besoins de l'homme est devenu le but de l'effort social des Etats.
4. En rejetant cette dimension, la porte s’est grande ouverte pour le mal. L’Occident n’a pas vu que le moteur de la vie humaine est faite de ce qui habite les cœurs et les esprits. Dieu et la spiritualité bannis, la place était libre pour la puissance que Soljenitsyne identifie somme le Mal. Le processus ne pouvait conduire à terme qu’au déclin et à l’autodestruction de l’Occident, fin que tout homme spirituel et lucide sent venir à grand pas.
On peut peut-être apporter ici où la quelques nuances à la pensée de Soljenitsyne. L’histoire n’est pas linéaire. Mais nul doute que le diagnostic de fond est juste. Nous n’avons pas fini d’en goûter les fruits amers !
Que sert-il à un homme de gagner le monde entier s'il perd son âme : Jésus
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