samedi 8 septembre 2007

L'âme désarmée (1)

L’âme désarmée

Il y a 20 ans le professeur Allan Bloom, aujourd’hui décédé, publiait un ouvrage qui eut, aux Etats-Unis, un fort retentissement. Ce livre, qui était un essai sur le déclin de la culture générale, passait au crible l’état de la société américaine, ses valeurs et les conséquences morales et sociales de l’évolution des comportements et des mentalités. Bien qu’ayant pris de l’âge, le livre ne perd rien de son actualité. Il a été publié, en 1987, aux Editions Julliard sous le titre « L’âme désarmée ». Je vous propose en quelques billets de vous en partager quelques aspects, les plus propres à la réflexion spirituelle menée sur ce blog.

La grande vertu de notre époque

S’il y a une chose dont tout professeur qui enseigne dans une université américaine peut être sûr, c’est que chacun de ses élèves, au moment où il entreprend des études supérieures, croit ou dit qu’il croit que la vérité est relative. Si l’on manifeste quelque scepticisme à l’égard de cette opinion, la réaction de l’étudiant ne se fait pas attendre : une incompréhension totale. Qu’on puisse considérer que cette proposition ne va pas de soi, voilà qui le stupéfie, un peu comme si l’on remettait en question le fait que deux et deux font quatre : il y a des choses évidentes auxquelles on n’a pas besoin de réfléchir.

Raisons de cette façon de penser

A leurs yeux, la relativité de la vérité n’est pas une intuition théorique, mais un postulat moral, condition d’une société libre. Ce qu’on leur a appris à redouter du dogmatisme, ce n’est pas l’erreur, mais l’intolérance. Le relativisme est nécessaire à l’ouverture d’esprit ; et l’ouverture d’esprit est l’unique vertu que l’instruction primaire, depuis plus de 50 ans, s’est fixée pour but de donner aux élèves… L’ouverture d’esprit est la grande idée de notre époque. C’est celui qui croit à la vérité qui représente un danger.

Un effet néfaste du relativisme

Tout système d’éducation comporte une fin morale, qu’il essaie d’atteindre et qui inspire son programme. Il tend à produire un certain type d’humain… La doctrine éducative récente dite « de l’ouverture » ne prête aucune attention aux droits naturels ni aux origines historiques, qu’on considère désormais comme des notions essentiellement fausses et réactionnaires. La nouvelle éducation est progressiste et regarde vers l’avenir… Elle est ouverte à toutes les espèces d’hommes, à tous les styles d’existence, à toutes les idéologies. Il n’y a plus d’ennemi, excepté l’homme qui n’est pas ouvert à tout. La conséquence insuffisamment remarquée jusqu’ici de cette doctrine, c’est qu’il n’existe plus de terrain commun.

Les conditions philosophiques du relativisme

Une condition nécessaire à la doctrine de l’ouverture est l’affaiblissement des convictions religieuses, notamment en rangeant la religion dans le domaine de l’opinion, par opposition à celui de la connaissance… Il n’existe plus d’absolus : seule la liberté est absolue. Il en résulte bien sûr que l’argument qui justifie la liberté s’évanouit et que, d’autre part, toutes les convictions commencent à avoir le caractère atténué qui était censé, au départ, se limiter aux croyances religieuses.

Le libéralisme nous a enseigné que le seul danger que nous courions, c’est d’être fermés à ce qui naît, à la nouveauté, aux manifestations du progrès… Ainsi le refus de distinguer devient-il un impératif moral, parce qu’il s’oppose à la discrimination. Cette idée délirante signifie qu’il n’est pas permis à l’homme de rechercher ce qui est naturellement bon pour lui et de l’admirer quand il l’aura trouvé, car une telle recherche aboutit à la découverte de ce qui est mauvais et débouche sur le mépris.

Du bienfait des préjugés

La doctrine de l’ouverture… constitue un élément de l’action actuellement conduite pour établir une communauté mondiale et en former les membres qui doivent être des individus sans préjugés... Mais il se pourrait bien que la science et la fameuse « ouverture » constituent la grande faiblesse de l’Occident…

J’essaye au contraire d’enseigner à mes élèves des préjugés, car à l’heure actuelle, ils apprennent à douter de toutes les croyances avant de croire eux-mêmes à quoi que ce fût… Avant même d’entreprendre de douter systématiquement et radicalement de tout, Descartes disposait de tout un monde merveilleux de vieilles croyances, d’expériences préscientifiques et d’interprétations du monde, convictions auxquelles il était fermement et même fanatiquement attaché. Il faut avoir l’expérience de la vraie croyance pour pouvoir jouir du frémissement de la libération. Les préjugés les plus puissants ont des visions de l’ordre des choses.

Certes, l’erreur est notre ennemie, mais il n’y a qu’elle qui désigne la vérité et, de ce fait, elle mérite qu’on la traite avec respect. L’esprit qui, à l’origine, est sans préjugés est un esprit vide.

Rétablir la vérité

Une grande étroitesse n’est pas incompatible avec la santé d’un individu ou d’un peuple, alors qu’avec une grande ouverture d’esprit, il est difficile d’éviter la décomposition… L’ouverture était naguère la vertu qui permettait de rechercher le bien en se servant de la raison : voici qu’elle équivaut maintenant à l’acceptation de tout et la négation du pouvoir de la raison… Le relativisme culturel détruit à la fois l’identité du sujet et le bien en général.

L’histoire et l’étude des cultures n’enseignent ni ne prouvent que les valeurs ou les cultures sont relatives… Le fait qu’il y ait eu à différentes époques et en différents lieux des opinions diverses sur le bien et le mal ne prouvent nullement qu’aucune de ces opinions n’est vraie ni supérieure aux autres. Dire une chose pareille, c’est aussi absurde que de prétendre que la diversité des points de vue exprimés lors d’une discussion universitaire à bâtons rompus démontre qu’il n’existe pas de vérité. Face à cette diversité, on devrait plutôt se poser la question de savoir quel point de vue est vrai ou juste et non pas les bannir tous.

La véritable ouverture est celle qui accompagne le désir de savoir, donc la prise de conscience de l’ignorance. Nier la possibilité de savoir ce qui est bien et ce qui est mal revient à annihiler cette véritable ouverture.

Conclusion

Il existe donc deux espèces « d’ouverture » : l’ouverture de l’indifférence, dont le double dessein est de rabaisser notre orgueil intellectuel et de nous laisser être ce qu’il nous plaît d’être, dans la mesure où nous ne voulons pas être de ceux qui savent ; et l’ouverture qui invite à la recherche de la connaissance et de la certitude, pour laquelle l’histoire et les diverses cultures constituent une brillante panoplie d’exemples qu’il faut examiner…

L’ouverture de l’indifférence n’est qu’un prétexte pour permettre à n’importe quelle sorte de vulgarité d’entrer en scène et d’y demeurer sans opposition… Il semble que l’ouverture soit un moyen de contraindre les hommes à céder devant la force, une façon de faire paraître fondé sur des principes le culte de la réussite vulgaire.

Si « l’ouverture » signifie qu’il faut « aller dans le sens du courant, elle implique obligatoirement l’adaptation au présent. La pratique sans restrictions de « l’ouverture » risque fort d’occulter l’existence de toute autre conception des choses, et c’est précisément la connaissance d’autres conceptions possibles qui pourrait nous faire prendre conscience de ce que la prétendue « ouverture » actuelle comporte de douteux…

De sorte que ce qui est annoncé comme une grande ouverture est en réalité une grande fermeture. Car aucun élève ne nourrit désormais l’espoir de trouver en d’autre lieux et d’autre temps de grands sages qui puissent lui révéler la vérité sur la vie.

Suite dans de prochains billets


Que sert-il à un homme de gagner le monde entier s'il perd son âme : Jésus

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