samedi 20 octobre 2007

L'Ame désarmée (2)


Essai sur le déclin de la culture en général : extraits du livre « L’âme désarmée » d’Allan Bloom, Editions Julliard, Année 1987

Spiritualité familiale : facteur de cohésion

Les jours de fêtes religieuses, le langage courant et l’ensemble de références au divin qui imprégnaient la plupart des foyers (américains) constituaient une bonne partie des liens familiaux et leur conféraient un contenu substantiel. Moïse et les tables de la loi, Jésus et sa prédication d’amour fraternel vivaient dans l’imagination. Certains passages des psaumes et des évangiles faisaient résonner, dans les têtes enfantines, de profonds échos. Se rendre à l’église ou à la synagogue, dire le bénédicité à table, cela constituait un mode de vie inséparable de l’éducation morale qui était censée, dans notre démocratie, représenter la responsabilité spéciale de la famille. En fait, l’enseignement moral, c’était l’enseignement religieux.

Une trame effilochée

Tandis que le respect pour le « Sacré » - cette nouvelle « culture sans sol » spirituelle - est monté en flèche, la religion véritable et la connaissance de la Bible ont diminué au point de quasiment disparaître… Cette perte a été suscitée par l’abdication de la famille qui n’a actuellement presque plus aucun contenu, et dont le paysage spirituel est d’une aridité qui dépasse l’imagination.. Le tissu délicat de la civilisation, fait de la trame et de la chaîne des générations successives, s’est complètement effiloché, et les enfants sont encore élevés, mais ne sont plus éduqués. (Note : si Allan Bloom peut faire un tel constat aux Etats-Unis, que dirait-il de la France ???)

Différence entre élevage et éducation

Je ne parle pas ici des foyers malheureux et brisés qui constituent une part si importante de la société américaine, mais des familles relativement heureuses, où mari et femme s’aiment et aiment leurs enfants. Ces parents-là, bien souvent, consacrent sans égoïsme la meilleure part de leur vie à leur progéniture. Mais ils n’ont rien à lui donner en fait de vision du monde, de grands modèle d’action ou de sentiment profond de la relation aux autres. Il semblerait que la famille soit, de toutes les choses humaines, celle qui exige le mélange le plus délicat de nature et de convention, d’humain et de divin, pour subsister et s’acquitter de sa fonction. Comme fondement, elle a simplement la reproduction physique, mais comme fin, elle doit assurer la formation d’êtres humains civilisés.

En enseignant une langue et en assignant des noms à toutes choses, elle transmet une interprétation du tout. Elle se nourrit de livres, de livres auxquels la petite communauté ajoute foi, de livres qui disent ce qui est vrai et faux, ce qui est bon ou mauvais et qui expliquent pourquoi il en est ainsi. Elle implique une certaine autorité et la présupposition, aussi bien chez la mère que chez le père, d’une sagesse relative aux voies du ciel et des hommes. Les parents doivent disposer de la connaissance de ce qui s’est produit dans le passé et des prescriptions pour ce qui devrait avoir lieu à l’avenir, pour pouvoir résister à la perversité du présent.

Les nouveaux éducateurs

Quand cette fonction disparaît, comme il semble que ce soit le cas, la famille dispose au mieux d’une unité transitoire. Ses membres dînent ensemble, jouent ensemble, voyagent ensemble, mais ils ne pensent pas ensemble. Le foyer est devenu une autoroute sur laquelle passent des camions chargés de détritus, et c’est d’eux qu’il tire sa nourriture intellectuelle.

Les émissions « éducatives » de la télévision représentent, pour la vie intellectuelle de la famille, la marée haute… l’avènement de la radio, puis celui de la télévision, ont mis à mal et presque réduit à néant l’intimité du foyer. Ayant perdu la maîtrise de l’ambiance de leur foyer, les parents ont aussi perdu la volonté de le diriger. Désormais, c’est l’autorité électronique qui détermine quels seront les divertissements de la famille et sert de critère à ce qui est intellectuellement respectable. Avec autant de subtilité que de force, la télévision n’envahit pas seulement l’espace familial, mais aussi les goûts des jeunes et des vieux, en faisant appel à ce qui est immédiatement agréable et en refoulant ce qui ne l’est pas.. Nietzsche disait que le journal avait remplacé la prière dans la vie du bourgeois moderne : il voulait exprimer par là que l’agitation, le bon marché, l’éphémère avaient usurpé tout ce qui restait encore d’éternel dans la vie quotidienne. Maintenant la télévision a remplacé le journal. (Note : au moment où Allan Bloom écrit ces mots, Internet n'existe pas...)

La Bible : le lien culturel et social du passé

Aux Etats-Unis, la Bible représentait pratiquement la seule culture commune, celle qui rassemblait les gens simples et les raffinés, les riches et les pauvres, les jeunes et les vieux ; elle ouvrait l’accès à la dignité des livres, elle était le modèle d’une vision d’ensemble, ainsi que la clé de l’art occidental, dont les grandes œuvres, d’une manière ou d’une autre, découlent de l’enseignement biblique. Avec la disparition progressive et inévitable de la Bible, l’idée même du Livre total et la possibilité et la nécessité d’une explication du monde sont en train de disparaître également. Et,ce qui en est le corollaire, les pères et les mères ont perdu de vue le fait que la plus haute aspiration qu’ils puissent nourrir pour leurs enfants, c’est de les voir devenir des sages, comme les prêtres, les prophètes et les philosophes sont des sages.

La cause de ce déclin traditionnel de la famille, de ce rôle qui consistait à transmettre la tradition est la même que celle qui a entraîné la décadence des humanités : personne ne croit plus que les livres anciens fondent la vérité ou puissent la contenir… Selon nos normes actuelles, mes grands-parents étaient des gens ignorants et mon grand-père n’a jamais occupé que des emplois subalternes. Mais leur foyer était riche spirituellement parce que tout ce qu’on y faisait était illustré par des textes bibliques. Ce n’était pas seulement ce qui était spécifiquement rituel, mais pratiquement tout, qui trouvait son origine dans les commandements de la Bible, son explication dans les récits bibliques et leurs commentaires, et sa contrepartie imaginative dans les hauts faits de la myriade de héros qui servaient d’exemples. Mes grands-parents trouvaient dans ces écrits des raisons d’aimer leur famille, de bien accomplir leurs tâches, et ils interprétaient leurs épreuves particulières en fonction d’un passé prestigieux et ennoblissant. Leur foi et leur pratique simple les associaient à de grands savants et à de grands penseurs qui avaient recouru aux mêmes livres qu’eux.

Conclusion

Je veux simplement dire qu’une vie fondée sur le Livre est plus proche de la vérité, que celui-ci fournit des matériaux pour une recherche plus approfondie et qu’il donne accès à la vraie nature des choses. Je ne prétends pas que la Bible procure l’unique moyen de meubler un esprit ; mais faute d’un livre d’un poids analogue, lu avec la gravité d’un croyant potentiel, l’esprit demeurera vide.


Que sert-il à un homme de gagner le monde entier s'il perd son âme : Jésus

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Hello !

Bonne soirée !

@mitié