La tyrannie du
plaisir
Dans « La tyrannie du plaisir » un livre très
documenté, Jean-Claude Guillebaud a voulu faire le point, quelques décennies
plus tard, sur les fruits qu’a portés dans notre société la révolution
sexuelle. Le but de cet article n’est pas de donner un résumé de son analyse. Il
est de considérer l’un des points à partir duquel il l'a construit : la
vision judéo-chrétienne de la sexualité.
Prologue à la réflexion
Sur ce sujet, il faut faire le
pari de garder la tête froide et l’esprit calme. C’est posément, sans hâte ni
parti-pris, qu’on doit examiner cette grande question du judéo-christianisme et
de la sexualité. Rien n’est plus difficile aujourd’hui…
« De nos jours en
Occident, souligne Evelyne Sullerot, c’est toujours à la tradition
judéo-chrétienne qu’on s’en prend : on lui attribue systématiquement, sans
le moindre examen, tout ce qui paraît défavorable à la femme. Sans doute cette hâte
irréfléchie est-elle due au fait qu’on ne raisonne plus que selon une seule
catégorie : la sexualité ! On juge de la liberté, de l’égalité, des
droits, etc.., uniquement en fonction des biens matériels ou de la liberté
sexuelle. Les religions monothéistes apparaissent comme les grands systèmes
esclavagistes de la femme. »
Cette fixation antireligieuse
participe d’un réflexe contemporain dont il faudrait souligner l’extravagance.
Car enfin… des peuples entiers auraient vécu deux millénaires durant dans la
névrose, le malheur, la frustration ! L’Occident dans son ensemble aurait
cheminé deux mille ans sous la férule de désirs bridés et de liberté asservie !
Et aujourd’hui seulement, nous, individus émancipés de la société industrielle,
serions fondés à désigner ces ancêtres comme autant d’enfants persécutés par le
prêtre et le théologien ; comme des passagers enchaînés à fond de cale, en
partance vers un monde de liberté atteint : le nôtre.
« Il faut se garder,
écrivait Michel Foucault, de schématiser et de ramener la doctrine chrétienne
des rapports conjugaux à la finalité procréatrice et à l’exclusion des
plaisirs. En fait, la doctrine sera complexe, sujette à discussion, et elle
connaîtra de nombreuses variantes. John Boswell, militant homosexuel, ouvre sa
longue étude sur l’homosexualité dans l’histoire médiévale par ces mots : « Le
présent volume vise expressément en bien des pages à réfuter l’idée que l’intolérance
envers les homosexuels trouve son origine dans les croyances religieuses –
chrétiennes ou autres. »
La position de Paul
Pharisien juif d’origine, l’apôtre
Paul est souvent présenté comme le premier responsable du prétendu ascétisme
catholique… Il est cependant incontestable que bien des textes de Paul ont été
déformés et surtout instrumentalisés après la mort de leur auteur. A ce sujet,
Laure Aynard se pose la question : « On peut présumer que saint Paul
eut été fort étonné (et, espérons-le, navré) de savoir que les consignes de
bonne tenue qu’il donna un jour face à l’indiscrétion de quelques dames
corinthiennes pourraient servir, au long de 19 siècles, de justification
théologique à la situation inférieure d’une moitié de l’humanité dans l’ensemble
du monde occidental. »
En réalité, de la conversion de
Paul jusqu’à son martyre dans une geôle romaine, vers l’an 67, toute sa vie
apparaît plutôt sur cette question de la sexualité, comme la recherche
inlassable d’un compromis entre l’extrémisme des encratistes (les adeptes de l’abstinence
sexuelle) et la modération des communautés et familles païennes de l’Asie
Mineure occidentale en voie de conversion au christianisme.
De même, on prendra l’habitude
d’oublier que Paul, notamment lorsqu’il aborde la question de la continence, s’exprime
toujours dans une perspective apocalyptique. Paul est convaincu de l’imminence
d’événements décisifs, c’est-à-dire de la venue du Royaume, qu’il s’attend à
connaître de son vivant.
Pour le reste, les spécialistes
contemporains ont beau jeu de dénoncer les mille et une approximations, voire
les manipulations qui ont permis de faire apparaître Paul comme le lugubre
inventeur du puritanisme. Les phrases de Paul que l’on monte en épingles sont
données dans un contexte de réponses à des questions posées. Il a, en outre, en
face de lui, de jeunes Corinthiens dont certains font l’éloge de la
prostitution et d’autres manifestent une tolérance pour l’inceste. D’autres
encore sont illuminés ou encratistes. Sa réponse consiste à condamner l’encratisme,
tout en manifestant qu’il y a quelque vérité en celui-ci. Il répond en
substance à ses interlocuteurs : qui veut faire l’ange fait la bête.
Phrases de Paul
Il est préférable de ne pas se marier : Paul dit cela
en raison des temps difficiles que les chrétiens vivent.
Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme et
pareillement la femme envers son mari. La femme ne dispose pas de son corps,
mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme.
Ne vous refusez pas l’un à l’autre.
Les quelques lignes de Paul ont nourri des bibliothèques
entières… L’interminable exégèse, poursuivie de siècle en siècle, des mêmes
cent ou cent cinquante mots tirés des épîtres de Paul a eu pour triple résultat
de les obscurcir en les privant de leur portée spirituelle, de leur enlever
toute réelle consistance, de donner des allures de dogme à ce qui n’était –parfois
– que simples conjectures délibérément apaisantes. Sans compter que le message
de Paul fut quelquefois, au cours des siècles, déformé volontairement dans une
intention, disons, moralisatrice.
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