Le Christ philosophe
Pourquoi la démocratie et les droits de l’homme sont-ils nés en Occident plutôt qu’en Inde, en Chine, ou dans l’Empire ottoman ? Parce que l’Occident était chrétien et que le christianisme n’est pas seulement une religion. Certes, le message des Evangiles s’enracine dans la foi en Dieu, mais le Christ enseigne aussi une éthique à portée universelle : égale dignité de tous, justice et partage, non-violence, émancipation de l’individu à l’égard du groupe et de la femme à l’égard de l’homme, liberté de choix, séparation du politique et du religieux, fraternité humaine.
Un essai
Je viens de terminer le livre de Frédéric Lenoir au titre singulier : « Le Christ philosophe ». Le texte ci-dessus introduit le 4ème de couverture de l’ouvrage. L’intention de l’auteur est clairement formulée. Son objectif est de montrer l’influence qu’a eu le christianisme sur l’Occident au long des siècles et le caractère toujours présent, quoique presque invisible qu’il a encore, L’Occident n’aurait pas été ce qu’il a été sans le christianisme. L’auteur démontre que l’humanisme qui le caractérise aujourd’hui, quoi que détaché de sa matrice, a sa source en lui (l’humanisme athée y compris).
Selon l’auteur, les idées et les concepts que le Christ a initié sont si révolutionnaires et intemporels qu’il était impossible qu’ils restent emprisonnés dans le cadre étouffant des institutions religieuses, l’Eglise catholique en particulier, qui prétend en être l’héritière. Ne trouvant plus leur réelle possibilité d’expression dans la prison de l’institution, les idées du Christ se sont affranchies d’elle pour façonner les valeurs éthiques de l’humanisme et la pensée laïque de l’Occident. Les idées du christianisme vivent donc toujours, même si elles n’ont plus besoin du Christ, et encore moins de l’Eglise.
L’auteur conclut son ouvrage en distinguant trois types de « chrétiens » ou de traces du christianisme aujourd’hui :
1er type : les chrétiens cultuels. Ils sont de moins en moins nombreux en Occident. La France détient le record d’athées professants (14% de la population). Parmi les chrétiens cultuels, l’auteur souligne qu’un grand nombre ne croient plus aux vérités fondamentales du christianisme : résurrection du Christ, immortalité de l’âme… Rencontrer un véritable chrétien devient chose rare.
2ème type : les chrétiens culturels. Ce sont ceux pour qui les fêtes chrétiennes ont de l’importance (Noël, Pâques..) sans qu’ils sachent vraiment à quoi elles se rattachent. Les chrétiens culturels « parlent encore chrétien », utilisant dans le langage courant nombre d’expressions bibliques (pleurer comme une Madeleine, rendre à César ce qui est à César…) sans en connaître la source. Ils écoutent encore les chefs d’oeuvre de la musique classique du passé et aiment leurs auteurs (Bach, Haendel, Beethoven…). Mais ils ignorent ce qui fut leur source d’inspiration première.
3ème type : le christianisme invisible. C’est le niveau le plus souterrain, les traces du christianisme dans ce qui a fait l’éthique de l’Occident jusqu’à modeler ses valeurs phares. L’auteur conclut ce point en posant la question à tous les déconstructeurs passés (comme Nietzsche) et présents (comme Michel Onfray) du christianisme. Détruire est une chose, mais la question reste posée : par quoi remplacer ce que l’Occident a reçu du christianisme ? A tout prendre, conclut Frédéric Lenoir, ne vaut-il pas mieux une éthique humaniste issue du message judéo-chrétien que la barbarie ?
Désaccords
Quoi qu’ayant beaucoup apprécié l’analyse historique faite par l’auteur sur le sujet, je suis en désaccord avec lui sur plusieurs points :
. D’emblée, Frédéric Lenoir refuse de considérer que la mort du Christ a valeur de sacrifice pour le pardon des péchés. Selon lui, Jésus accepte sa mort parce qu’il n’y a pas d’autre issue possible pour rester fidèle à son message. Jésus serait donc mort par fidélité à son idéal. Comprendre la mort de Christ de ce point de vue, c’est oublier l’essentiel de toute l’histoire biblique : l’entrée du péché dans le monde entraînant la rupture avec Dieu de toute l’humanité. C’est occulter volontairement tout l’arrière-plan de l’Evangile, construit sur l’offrande de sacrifices d’expiation dans l’Ancien Testament. C’est nier ce que Jean-Baptiste a dit de Jésus : Voici l’Agneau de Dieu (le sacrifice offert par Dieu) pour ôter le péché du monde.
. le second point qui est ici suggéré (et qui fait le sujet du dernier livre de l’auteur : le jour où Jésus est devenu Dieu) est que Jésus est devenu Dieu par ce qu’on a fait de lui. Lui ne l’a jamais prétendu. Désolé de contredire Frédéric Lenoir : Jésus s’est clairement identifié devant les juifs comme le « Je suis », nom sous lequel le Dieu de l’Ancien Testament s’est présenté à Moïse : Jean 8,58 ; Exode 3,14. Cette audace a d’ailleurs valu à Jésus d’être presque lapidé !
. le dernier point est la conclusion de l’absence des deux vérités précédentes. Selon l’auteur, Jésus affirmerait que tout homme est sauvé parce que Dieu l’aime. Si la question du péché est occulté, la croix n’a plus aucune valeur rédemptrice. Il n’est nécessaire ni de se repentir de ce que l’on est, ni de se tourner personnellement vers le Christ pour son salut. Ce n’est pas là ce que disent Jésus, Paul et toute la Bible. « Celui qui met sa foi dans le Fils a la vie éternelle ; celui qui refuse d’obéir au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui : Jean 3,36."
Humainement vu, le livre de Frédéric Lenoir est bon ; sur le plan biblique cependant, il est dépourvu de l’essentiel : regrettable !
Que sert-il à un homme de gagner le monde entier s'il perd son âme : Jésus