Intrusion
Pour beaucoup, la foi est un
choix qui relève du domaine privé. On est croyant à l’intérieur de soi.
Cette
intimité de la foi ne regarde personne d’autre. Plus que cela, pour certains,
le regard des autres n’a pas à pénétrer à l’intérieur de soi pour voir ce que
la foi y produit. Mais la question se pose : la foi peut-elle se vivre secrètement ?
Suffit-il de se dire croyant pour l’être ? Quelle part d’intrusion dans sa
vie secrète le croyant doit-il accepter s’il se déclare comme tel ? A l’heure
où, au nom de la laïcité, on tient à tenir séparé ce qui relève du privé et du
public, ce type de question vaut la peine d’être posée.
Jésus, un intrus qui vous veut
du bien
Le moins qu’on puisse dire est
que Jésus, dans sa relation avec ceux qu’il côtoyait, ne se gênait pas pour
entrer dans leur vie privée. Voyant Nathanaël venir à lui, Jésus dira : Voici
vraiment un Israélite dans lequel il n’y a point de fraude : Jean 1, 47. A la samaritaine, qui ne faisait que
parler spirituel et religieux avec lui, Jésus en viendra aux faits de sa vie :
Tu as eu cinq maris, dira-t-il, et celui que tu as maintenant n’est pas ton
mari : Jean 4,17. Comme ingérence et
jugement, on peut difficilement trouver pire. Jésus n’hésitera pas à fustiger
les pharisiens et à juger l’hypocrisie de leur vie intérieure : « Malheur
à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Parce que vous ressemblez à des
sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui, au dedans, sont
pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés. Vous de même, au
dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais, au dedans, vous êtes pleins
d’hypocrisie et d’iniquité : Matthieu 23,27-28. »
Que de manque de tact, de courtoise et de savoir-vivre de sa part !
Tout dire : jusqu’où ?
La pratique de Jésus à l’égard
de ses contemporains témoigne du fait que la foi ne peut éviter une part d’intrusion
dans la vie privée. Il se peut que certaines personnes se sentent mal à l’aise
avec la liberté que certains chrétiens prennent pour parler avec détails d’eux-mêmes,
de leurs luttes secrètes. Dois-je, moi aussi, m’exposer de la sorte pour être
vrai, se demandent-elles ? Un chrétien est-il un homme nu qui n’a pas le
droit de cacher quoi que ce soit ? Il y a plusieurs réponses à cette
question !
Devant Dieu !
Notons d’abord que, dans l’Ecriture,
c’est à Dieu que l’on expose ce que l’on est dans ce qu’on a de plus cru. Si
Jésus a été si vindicatif envers les pharisiens, c’est à cause du mensonge que
représentait leur apparence. Les pharisiens voulaient paraître à l’extérieur à
l’opposé de ce qu’ils étaient à l’intérieur. Ils sauvaient la face devant les
hommes et formaient une clique qui se prétendait au-dessus des autres en termes
de justice et de moralité. Nous devons le savoir : rien n’échappe au
regard de Dieu. Nous avons donc la liberté d’être nu devant lui.
Avant que Jésus ne vienne,
parut Jean-Baptiste. Il avait comme mission de préparer les cœurs à accueillir
Jésus. Comment le fit-il ? Il demandait à chacun qui venait vers lui de
confesser ses péchés. Pour Jean, il était impossible de rencontrer Jésus si on
ne faisait pas toute la lumière sur sa vie. Il fallait ouvrir portes et
fenêtres, et laisser le jour entrer là où il y avait la nuit. Il ne fallait pas
essayer d’enjoliver, de cacher ou de mettre sous le tapis quoi que ce soit. Il
fallait dire les choses telles qu’elles étaient dans sa vie.
Il est notoire que beaucoup de
ceux qui, après en avoir entendu parler, tournent le dos à Jésus le font pour
cette raison. Ils veulent bien que Jésus améliore leur vie, leur évite les conséquences
mauvaises de leur choix ou, à la rigueur, leur assure une place au ciel. Mais
ils veulent garder les portes de leurs vies secrètes fermées. Pas question de
confesser quoi que ce soit ! Se faisant, ils créent leur propre malheur. Ils
sont comme le patient qui appelle le médecin parce qu’il souffre, mais qui
refuse que celui-ci, au moment où il veut mettre le doigt sur le mal qui les
ronge, refuse qu’il les touche. « Cela va trop loin ! Ce dont vous me
parlez remue trop de choses profondément en moi ! Je veux bien que l’on me
considère comme une victime, mais ne dites rien qui ferait de moi un coupable
en quoi que ce soit ! » Il y a peu de chances que, si telle est votre
attitude devant Dieu, vous connaissiez quelque chose de sa puissance
libératrice et guérisseuse dans votre vie !
Devant les hommes !
Dieu, c’est Dieu ! Mais
les hommes ne sont pas Dieu, y compris ses serviteurs ! C’est exact !
Trop d’abus dans le passé ont été commis au nom de la soi-disant transparence.
Enfant, je me souviens être allé au confessionnal. Une liste de tous les péchés
possibles nous était remise auparavant. Nous devions cocher ceux dont nous nous
étions rendus coupables pour le dire au prêtre. Il y avait les péchés véniels
(pas trop graves) et les mortels. Pour ceux-là, je ne sais pas quelle était la
solution.
Tout cela n’est qu’une
caricature et n’a rien à voir avec la transparence volontaire que suscite la
foi. La transparence qui peut exister entre des frères en Christ découle d’une
seule chose. Chacun qui appartient réellement à Dieu se sait un gracié. Il ne
peut juger son frère car il sait qu’il y a plus à juger chez lui que chez les
autres. La lumière de Dieu qui a pénétré en son for intérieur ne lui a laissé
aucune illusion sur lui-même. Si Dieu devait le juger sur ses actes, ses
motivations, ses pensées profondes, il n’aurait aucune chance d’échapper. Il sait
que s’il vit, il ne le doit qu’à une seule personne : Jésus-Christ qui a
pris sur lui le jugement qu’il mérite. Pécheur pardonné, le chrétien peut
désormais vivre de la grâce de Dieu avec lui-même et dans sa relation avec
autrui.
Seule cette conscience de la
grâce donne cette liberté de parler de soi sans fard. Certes, il ne s’agit pas
dans les églises de pratiquer une sorte de streeptease spirituel intégral. Qui
a honte de ses péchés ne va pas s’en vanter ou se délecter de les décrire en
détails. Il n’y a là rien d’héroïque ou d’édifiant. Mais il peut être salvateur
pour une âme d’oser dire à un frère en qui l’on n’a pleinement confiance ce
avec quoi nous luttons, peut-être tous les jours. Il faut parfois remonter très
loin dans sa vie, son passé pour découvrir pourquoi nous agissons ou réagissons
comme nous le faisons. La confession de ses propres fautes, des mauvaises
façons de réagir qui ont été les nôtres dans des situations même douloureuses, liée
à la prière, a une grande efficacité salvatrice.
Un dernier mot sur la
confidentialité ! Il arrive parfois que, de manière trop ouverte, certains
parlent en église des détails de la vie privée des autres. Ils veulent
recommander ces personnes qui leur tiennent à cœur à la prière de leurs frères
et sœurs dans la foi. La plus grande sobriété s’impose ici. C’est une chose de
parler ouvertement des détails de sa propre vie, c’en est une autre d’exposer
celles des autres au regard de tous. Veillons à ne pas être des paparazzis
religieux !
Conclusion
Seul l’amour, celui de Dieu d’abord,
permet à l’homme apeuré de sortir de sa tanière. La peur du jugement de Dieu et
d’autrui retient beaucoup dans l’ombre. Après avoir péché, le premier réflexe
de nos premiers parents fut de chercher à cacher leur nudité à Dieu et l’un à l’autre.
La raison est qu’ils avaient honte d’être nus, honte d’être ce qu’ils étaient :
Genèse 3,7. Ce réflexe est toujours là. Au lieu
de dire, d’avouer ce que nous avons fait, tous, de l’enfant à l’adulte, nous
cherchons d’abord à le cacher.
L’attitude de Dieu à l’égard d’Adam et Eve ne
fut pas celle d’un juge. Ne les voyant pas dans le jardin, il les appela et
leur demanda où ils étaient. C’était la bonne question. Il fallait qu’Adam et
Eve sortent de leur cachette. Que de détours pour l’un et l’autre pour admettre
sa part de responsabilité dans la situation. Qu’il est difficile pour chacun d’être
vrai ! On se trouve toujours des circonstances atténuantes. On estime que
l’autre est toujours plus coupable que soi ! Mais quelle délivrance
lorsque nous entendons la voix de Dieu nous dire : « J’ai vu tout ce
que tu es et ce que tuas fait de mal ! Je te pardonne ! »
N’ayons pas peur de la lumière.
C’est elle qui rend la vie belle, qui fait éclore la fleur, le fruit. Nous ne
sommes pas appelés à avoir une vie de cafard, mais de tournesol !
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